Je m'assis à côté d'elle, heureux comme jamais.
– Wesh, me dit-elle.
– Salut. Tu vas bien ?
– Ouais et toi ?
– Ça va bien, merci.
– Tu fais quoi cet aprem ?
– Bah, je vais en cours.. Pourquoi ?
– Nan y'a pas, Monsieur Julliani est pas là, donc y'a pas les 2 heures de physique chimie, on finit à midi.
Je n'avais pourtant pas vu sur le tableau des professeurs absents le nom de Julliani, mais je ne relevai pas. On était supposé avoir un grand contrôle ce jour là, et j'avais bien révisé, l'idée de m'en débarrasser rapidement me réjouissait et normalement l'idée que Julliani annule le contrôle et rallonge donc ma période d'anxiété m'aurait énervé mais peu importe. J'étais bien trop heureux qu'elle me parle. Ça voulait dire qu'elle ne reniait pas ce qui s'était passé la veille. J'avais eu peur qu'elle ne me parle plus. Mais non, j'avais raison. Elle m'aimait vraiment.
– Ah super ! Dis-je, bah.. Je vais rentrer chez moi.
– Ça te dit de m'accompagner à Belleville vers 14heures, je dois acheter des trucs. Mais Bénédicte et Sarah veulent pas m'accompagner.
– Heu...
Il y a 3 jours, j'aurais pensé que c'était un piège. Mais vu comment notre relation évoluait, il était normal qu'elle me demande à moi de l'accompagner.
– Allez, steuplé, me dit-elle en posant sa main sur mon bras.
Des frissons me parcourent l'échine.
– Heu oui bien sûr si tu veux.
– Merci, bah rendez vous à 14h à Goncourt. Passe ton numéro.
Je le lui donnai. Elle me fit biper pour que j'aie son numéro.
Notre premier rendez vous en amoureux. J'étais vraiment enthousiaste.
Le reste de la matinée, on ne se parla pas, soit elle dormait soit elle textotait soit elle papotait avec Zaza et Scara.
En rentrant chez moi le midi, j'étais excité et apeuré. Je ressentais des sentiments encore inconnus jusque là. Ma vie devenait enfin palpitante. Je ne pus pas manger beaucoup, trop stressé. Je ne finis même pas les spaghettis bolognaise que mon père m'avait laissé. Après 3 bouchées, je suis allé me brosser les dents méthodiquement pendant dix minutes. Au cas où on s'embrasserait. J'ouvris mon armoire afin de chercher mes vêtements les plus cools, mais rien. Tout était fade et passé de mode. Je mis un jean basique et une chemise blanche. Pas très cool pour un lycéen. Je m'aspergeai de Axe. Pris mes clés, 58 euros (c'était tout ce qu'il me restait, je comptais m'acheter un jeu vidéo avec, mais tant pis) et à 13h20 je pris le métro pour aller à Goncourt. Histoire d'arriver en avance. Finalement je suis arrivé très très en avance. À 13h26. J'habitais vers République, et je sortais tellement peu que je ne savais pas que Goncourt se trouvait sur ma ligne, et qu'en fait c'était la station juste après la mienne... Quel con. Et donc, comme un crétin, gêné, j'attendais devant le métro, les bras ballants. Mes mains étaient moites. Ma bouche sèche. Et si elle me posait un lapin ?.. Non, elle ne pouvait pas me faire ça. On était presque ensemble après tout. Je ne pouvais pas lui envoyer de textos, elle aurait su que j'étais arrivé bien trop en avance. Ça faisait boloss. À 13h50, je me décidai enfin à lui envoyer un texto. Elle me répondit aussitôt « Chui biento al ». Et à 14h02, je la vis sortir du métro. Je vous l'avais dit qu'elle m'aimait bien. Elle s’avança vers moi très souriante et me fit la bise. C'était la première fois. Elle avait changé de vêtements, un slim en jean bleu foncé, deux débardeurs moulants superposés, un bleu et un rose, des grosses jordan blanches.
– T'as dosé sur le Axe, s'esclaffa t-elle.
Je rougis. C'est vrai que j'avais mis pas mal de Axe. Ça devait faire boloss. Elle se dirigea dans une boutique de pak pak (indiens) et je la suivis.
Aussitôt rentrée, elle prit plusieurs tee shirt, plusieurs jean, sans même les essayer et presque sans même les regarder. Elle les déposa sur le comptoir du vendeur. Elle rajouta sur le tas de vêtements quelques bijoux de pacotilles et du maquillage.
– 45 euros, déclara le vendeur.
Vu le nombre d'articles, je m'attendais à beaucoup plus. Fanta chercha dans ses poches et eut l'air désolé. « Merde, j'ai oublié mon porte-monnaie... Tu peux me les payer ? » me demanda t-elle.
Heu … Bon, j'avais 58 euros, et je comptais les dépenser pour elle de toute façon. Et puis ça lui ferait plaisir. Donc je sortis la totalité de l'argent pour le compter et lui donner 45 euros, mais rapidement, elle saisit le tout. Je ne répondis rien. C'était assez inconvenant mais bon, elle le méritait bien. Le pak pak lui tendit 2 gros sacs. Elle eut l'air satisfaite. On quitta la boutique.
Elle ne me remercia pas.
– T'es pas contente que je t'aie passé mon argent ? Lui demandai-je
– Si, merci c'est sympa, dit-elle sans me regarder.
Je ne répondis rien.
– Au fait, t'avais que ça comme thunes ? Reprit t-elle
– Oui désolé, c'est vraiment tout ce qui me restait, d'ailleurs j'aurais besoin des 13 euros restants.
– Tu vas faire le crevard pour 13 euros ? C'est rien, wesh. Moi aussi j'en ai besoin.
– Mais, j'en ai vraiment besoin. En plus faut que je m'achète un ticket de métro pour le retour.
– Un ticket de métro ça coûte pas 13 euros, essaie pas de me douiller.
Elle me tendit une pièce de 2 euros.
– Voilà, en plus un ticket ça coûte 1e60 je crois, donc je suis gentille. Dit-elle en se dirigeant vers une autre boutique.
Je ne dis rien et mis les 2 euros dans ma poche.
Dans la boutique elle choisit plusieurs bijoux pour piercings.
– Tu vas te faire un piercing ? Lui demandai-je.
– Ouais, tu kiffes ?
Elle me montra plusieurs petits piercings fantaisie.
– Oui, c'est joli. Ça fera joli sur ton nez.
Elle me regarda comme si j'étais une merde.
– Les piercings au nez c'est dépassé, hein. Je vais m'en faire un en bas à droite de la bouche.
Malgré la remarque et son attitude plutôt vexante, je fis comme si de rien n'était.
– Oui, ça t'irait super bien. De toute façon tout te va. Dis-je timidement.
Elle rit du genre « Putain c'est quel genre de remarques de boloss ça ? ». Ce qui me vexa aussi. Je pensai que ça lui ferait plaisir. Mais bon, c'est vrai que j'étais un boloss. Je ferai des efforts pour devenir plus cool.
Elle prit une dizaine de piercings. 10 euros. Ça me fit un peu mal de savoir que l'argent que j'avais économisé depuis le début de l'année pour le jeu vidéo de mes rêves partait dans des fringues nulles. Mais bon, elle le méritait bien. Je sais qu'elle faisait pas exprès d'être comme ça.
En sortant de la boutique, elle vit sur la rue d'en face, un groupe de 4 jeunes d'environ notre âge. Un gars l'interpella. Elle lui répondit et aussitôt, elle s'éloigna rapidement de moi. Je ne compris pas. Je la suivis, et arrivé près d'elle, elle me poussa violemment. « Arrête de me coller, wesh. ». Le gars qui l'avait appelé s'approcha. C'était un noir de genre 17 ans. Il portait un tee shirt « Le rap c'était mieux avant » et une fausse sacoche Gucci.
– C'est qui lawis ? Demanda t-il à Fanta en parlant de moi.
– C'est un boug de ma classe, je viens de le croiser et depuis tout à l'heure il bourre. Dit-elle en me regardant comme si j'étais un cafard..
D'un coup, ma gorge se noua. Pourquoi elle me faisait ça ? J'eus vraiment vraiment mal. Elle m'assumait pas. Elle avait honte de moi. J'eus froid tout d'un coup.
– T'as rien d'autre à faire que de frotter les meufs toi ? 'Azi, casse toi ! Dit le garçon en poussant violemment mon front.
Les gens, dont Fanta, rirent. Je commençai à paniquer. J'avais peur qu'ils s'en prennent à moi. Je me dirigeai vers le métro, encore un peu choqué de ce qui venait de se passer. A peine arrivé devant le guichet du métro, je sentis une main s'accrocher à mon épaule. Je pris peur, et sursautai.
– Wesh c'est juste moi, me dit Fanta essoufflée. Elle avait apparemment couru pour me rattraper.
– Pourquoi est ce que tu as fait ça ? Demandai-je la voix encore nouée.
J'ai honte de l'avouer mais sur le coup, j'avais envie de pleurer.
– J'avais pas le choix, il connaît mon frère. Si je lui dis que tu m'accompagnais acheter des fringues, il allait penser que je suis ta pute, un truc dans le genre. En plus la pute d'un blanc, c'est chaud. Dans ma famille,l'honneur c'est un que-tru important tu vois et franchement moi je blague pas avec ça. J'ai pas envie de me faire niquer par darons et mes frères pour un vieux truc as kom. Donc désolée. Désolée si je t'ai fait de la peine.
Sa réaction vis à vis de moi me sembla légitime. Je voulais pas qu'elle se fasse frapper par ma faute. J'eus de la peine pour elle. Et je l'excusai.
– Ok, je comprends, c'est pas grave t'inquiète, dis-je en souriant faiblement.
– Bon je rentre, dit-elle.
Quoi ? Mais on avait même pas eu le temps de parler.
– Ah d'accord, bon bah salut. Dis-je, déçu.
– Ouais désolée, Halassane, le mec de tout à l'heure, il rôde vers ici, si il me voit encore avec 'oit il va se poser des questions.
– Ok pas de soucis... Dis-je, super déçu.
Et elle m'embrassa sur la bouche.
Mon dieu.
Je vous l'avais bien dit qu'elle m'aimait.
Le soir, dans ma chambre, je repensais à l'après midi. Elle m'avait pris mon argent, fait des remarques désagréables, repoussé. Et alors ? Elle m'avait embrassé dans le cou et sur la bouche, et j'avais vu ses seins. Ça compense bien, non ? Toute la soirée, je me caressai en pensant à elle. Brusquement mon portable sonna. Bizarre, je recevais jamais de textos. Tout le monde s'en foutait de moi. Sur l'écran : « Message de Fanta ». Ma bien-aimée. Je vous retranscris les messages :
« Wesh, sava, tu fou koi ? », « Heu.. rien de spécial, pourquoi ? », « kom sa. merci pour tt a lheure o fait, pr les vetement & tt. », « y'a pas de quoi, ça m'a fait plaisir ^^ », « Lol merci. O faite, c pa pr te soulé mais lundi tu pourrai me passé 20e ?? Jen é grav besoin jte jure. », « heu j'ai vraiment plus rien, tout ce que j'avais c'était les 58 euros », « wsh jte jure jen ai graav besoiin, sinn je suis ds la merde, je v me faire niqué ! », « de quoi, qu'est ce qu'il se passe ? », « g cassé un objet kappartien a mon daron, fo que je le rachète avt son retour du bled, & il revien lundi soir, si je le rachète pa, je suis ds la de-mer wallah ! Stp aide moi je peu demandé ka toi », « je vais essayer de trouver l'argent, mais j'te garantie rien.. », « Oh wallah t un frèr merci putain tu me sov la vi, je te kiff. », « Moi aussi jte kiff », « lol. »
Le « lol » de la fin ne plut pas trop, mais bon. J'étais presque son copain. Normal, que ce soit à moi qu'elle demande de l'aide, non ?
Le problème que j'avais vraiment plus de thunes. Je décidais d'en demander à mon père le lendemain.
Le lendemain, en allant petit-déjeuner, j'aperçus mon père, déprimé, assis dans le salon. J'aime pas trop raconter ma vie, surtout ce côté là. Donc je vous explique en bref. Je suis fils unique. Ma mère est morte il y a 2 ans, elle s'est suicidée. Elle était toujours en dépression. Ça a brisé mon père. Et depuis, il est en dépression aussi. A cause de ça, il a perdu son travail. Maintenant, il fait que des petits boulots de merde. Là il est maçon, je crois. Il travaille toute la journée sur des chantiers. Pour un gars qu'a eu un bac + 5, ça fout les boules. Moi, ma mère, je lui en ai toujours voulu de nous avoir abandonné. Ma colère a pris le pas sur la tristesse. Quoi qu'il en soit, niveau thunes à la maison, c'est pas la joie. On se serre la ceinture. Pas de fringues ou de bouffe de marque. Pas de voyages. Pas de superflu. Alors autant vous dire, que les 58 euros que Fanta m'a pris hier, c'était pas rien. 58 euros pour moi, c'est énorme. Je voulais pas passer pour un crevard alors j'ai rien dit. De toute façon, elle les méritait bien.
– Bonjour, me dit mon père en m’apercevant.
– Salut Pa'.
Je réfléchissais. Si je lui demandais 20euros, il allait me demander pourquoi. Je pouvais quand même pas lui dire la vérité... Je décidais de prendre l'école comme prétexte.
– Papa, j'aurais besoin de 20 euros...
Mon père eut l'air triste.
– Tu sais bien qu'on a pas assez d'argent... C'est pour quoi ?
– Je sais papa... Pour l'école, y'a un livre qu'on doit acheter, c'est obligatoire.
– Et il coûte 20 euros ?!
– Oui, c'est un livre très important en français, c'est la dernière édition.
– C'est du foutage de gueule. 20E pour un bouquin ? Ta prof sait ce qu'on peut faire avec 20 euros ? Ça me rend fou ça ! 20E pour du papelard ! Je reçois mon salaire que vendredi prochain. Là je te donnerai ton argent. 20E bon sang...
– En fait, le livre il nous le faut absolument pour lundi... J'avais oublié. Si on l'a pas lundi, on est sanctionné.
Mon père se massa le crâne. Il avait l'air en piteux état.
- ça ne m'arrange pas du tout, tu sais. J'ai exactement 20 euros. Et ces 20e je comptais sur eux pour manger les midis de la semaine prochaine. Si je te les donne, je ne sais pas comment je vais faire pour tenir. Tu sais, physiquement c'est très dur. Mais je veux pas que tu échoues. Il faut que tu réussisses, pour moi. Pour ta mère. Pour toi. Je veux pas que tu connaisses ça. La réussite scolaire de mon enfant vaut bien un petit jeûne, non ? Dit-il en souriant faiblement. Il sortit de son portemonnaie, 2 billets de 10 euros et me les tendis.
Ça me fit vraiment mal au cœur de voir mon père dans cette situation. J'avais la gorge nouée. J'allais dépenser l'argent qui lui restait pour manger pour … une fille. Mais ce n'était pas n'importe quelle fille. Elle le méritait.
– Je compte sur toi. Me dit mon père, la voix chargée d'espoir et douleur.
Je crois ne m'être jamais aussi senti mal de ma vie.
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